Les sportifs de haut-niveau, sur tous les fronts


Maxime Valet, Jeux Paralympiques de Rio 2016.

Sportifs de haut niveau, ils mènent en parallèle une vie professionnelle rythmée, suivent des études et parfois assument une vie familiale. Le tout, au prix d’une organisation sans faille et d’une motivation hors norme. Escrimeur, rugbyman en fauteuil, athlète, skieur, pongiste… tous assurent que cela contribue autant à leur équilibre moral et parfois financier, qu’à leur réussite sportive. Aujourd’hui, de nombreux dispositifs offrent la possibilité de courir plusieurs lièvres à la fois. Une démarche primordiale pour basculer avec enthousiasme et sérénité dans l’après-carrière sportive. La Fédération Française Handisport, via ses réseaux, sa cellule socioprofessionnelle et ses différents services, leur apporte un soutien fort et précieux. Dossier réalisé par J. Soyer

Réussir sa vie sportive et professionnelle est un vrai défi. « La Fédération Française Handisport accompagne une soixantaine de sportifs de haut niveau, élite, seniors et relève ayant un double projet », situe Audrey Le Morvan, en charge du suivi socioprofessionnel à la FFH depuis mai 2019. L’objectif : leur permettre de bénéficier d’un aménagement de leur temps de travail au sein de leur entreprise pour s’entraîner, partir en stage et disputer les compétitions. « On peut aussi simplement faire un courrier pour justifier les absences d’un étudiant ou d’un salarié », ajoute l’ancienne pongiste internationale française.

Les conventions d’insertion professionnelle, un atout majeur

La Convention d’Insertion Professionnelle (CIP) est l’un des dispositifs les plus répandus et efficaces pour les sportifs salariés. La FFH, l’employeur, l’Agence Nationale du Sport et parfois les collectivités territoriales cofinancent les jours de détachement du sportif. Maxime Valet, médecin du sport au CREPS de Toulouse, bénéficie de ce dispositif depuis 7 ans. « J’ai déjà l’impression de courir partout, alors sans cette prise en charge, qui correspond à environ 20 % de mon temps de travail annuel, tout mener de front serait impossible », explique l’escrimeur, paraplégique depuis un accident de la vie survenu en 2009. Maxime Valet, double médaillé de bronze aux Jeux Paralympiques de Rio en 2016, est détaché pour toutes les compétitions, les stages en équipe de France et deux après-midi par semaine pour ses séances de travail physique. La FFH assure le suivi de 21 sportifs sous CIP. « Je vérifie si le sportif se sent bien dans sa mission », détaille Audrey Le Morvan. « Si cela se passe bien avec ses responsables, notamment eu égard aux absences. Et si le détachement est en phase avec ses objectifs. » Cette solution est extrêmement positive. « Le sportif incarne vraiment l’entreprise qu’il représente puisqu’il y travaille et la connaît », estime Marie-Amélie Le Fur, pilote d’affaires pour EDF au Centre Nucléaire de Production d’Électricité de Saint-Laurent-des-Eaux. « Il anticipe ainsi son après carrière afin de la rendre un peu moins traumatisante. » Le deal est gagnant-gagnant : « travailler m’a apporté de la maturité pour le sport », assure la cheffe de fil de l’athlétisme tricolore handisport depuis près de 15 ans, « et les rencontres liées au sport m’ont permis d’apporter plus de choses chez EDF. » La Fédération Française Handisport s’est aussi entourée d’experts, comme Norbert Krantz, favorisant la haute performance. Le directeur des équipes de France des sports d’été et les cadres fédéraux apportent un regard éclairant sur les besoins des sportifs potentiellement médaillables et un appui déterminant à ceux en quête d’un emploi aménagé ou d’un partenariat. Ces personnes ressources de la FFH facilitent aussi l’accès à l’INSEP (Institut National du Sport, de l’Expertise et de la Performance) et aux moyens (technologiques et/ou économiques) favorisant la haute performance. Un aspect non-négligeable quand le planning est serré. « Chaque stage et chaque séance doivent être bénéfiques », pointe Maxime Valet, 33 ans, papa d’une petite fille. Pour Norbert Krantz, le « bonheur des sportifs est une condition sine qua none à la réalisation de l’ensemble de leurs projets ». De nombreux sportifs de haut niveau doivent, comme Maxime Valet ou Jonathan Hivernat, travailler pour financer leur carrière. Ce dernier, capitaine de l’équipe de France de rugby fauteuil, a aussi vu son destin paralympique prendre corps grâce à une CIP, au début de sa carrière d’agent immobilier. Une carrière que le Toulousain de 29 ans poursuit en qualité d’autoentrepreneur. « Comme je suis mon propre patron, j’organise mon emploi du temps à ma guise », déclare Jonathan Hivernat, également animateur de conférences. Il s’impose ainsi quatre heures de sport au quotidien.

"Le bonheur des sportifs, une condition indispensable à la réalisation de tous leurs projets."

rester maître de son planning

Ne pas rogner les entraînements est un facteur clé de la réussite. « L’idée est de toujours discuter avec les coaches pour trouver le bon compromis entre la performance sportive et les projets annexes qui constituent un équilibre dans la construction », dévoile la présidente du Comité Paralympique et Sportif Français (CPSF), Marie-Amélie Le Fur, qui doit aussi s’entraîner en moyenne 18 heures par semaine et veut profiter de sa fille, née en août 2019. Les destins paralympiques et professionnels s’unissent souvent à la faveur de belles rencontres et d’une motivation infaillible. Marie-Amélie Le Fur, 31 ans, se souvient des difficultés surmontées pour mener de front ses études en STAPS et son début de carrière. Avant de figurer sur les listes de haut niveau, il n’est pas toujours simple de faire comprendre les exigences du très haut niveau. Mais les mentalités évoluent. « Il y a une meilleure compréhension et une préoccupation réelle d’accompagner les sportifs de haut niveau dans leur double projet », constate Arthur Bauchet, quadruple médaillé d’argent aux Jeux Paralympiques de PyeongChang en 2018. Depuis son année de première, le skieur alpin de 19 ans, inscrit sur les listes de haut niveau depuis 2017, bénéficie des aménagements idoines pour glaner des médailles internationales, suivre ses études de sciences et son certificat préparatoire à Sciences Politiques Paris. Avec Thomas Civade, son équipier en équipe de France de ski, ils sont en Licence via le cursus Inter’Val, à la fac de Grenoble. Accéder à la licence universitaire en six ans, suivre les cours à distance une grande partie de l’année, telles sont les possibilités offertes par ce dispositif. « C’est du sur mesure. Lorsque nous devons aller sur le campus, en fin de saison de ski (fin avril), nous pouvons louer ponctuellement des logements et accéder à une salle de sport », développe Thomas Civade, déficient visuel.

L’importance de préparer l’avenir

Étirer ses études n’est toutefois possible que si l’étudiant peut vivre de sa pratique sportive. Comme la moitié des 400 sportifs de haut niveau ayant une licence FFH, Thomas Civade et Arthur Bauchet sont soutenus financièrement par des sociétés comme EDF, Malakoff Humanis, l’Armée de Champions, la Société Générale, la Française des Jeux ou d’autres… « Sans ces partenariats, dont certains ont vu le jour grâce à la FFH, j’aurais été contraint de terminer mes études plus rapidement », se réjouit Arthur Bauchet, épaulé par plusieurs entreprises à travers des Teams ou des regroupements d’athlètes. Les sociétés accompagnent des sportives et des sportifs valides et handisport représentant différentes disciplines. Encore assez peu à la mode dans le champ paralympique avant les Jeux de Pékin, ces partenariats individuels ont connu un vrai essor depuis que Paris a officiellement été désigné pour accueillir les Jeux en 2024. « Il y a eu l’effet Jeux, le sport étant devenu, ou s’est affirmé comme un vrai axe de communication pour les marques et les sociétés », souligne Adrien Balduzzi, responsable des partenariats FFH. « Parallèlement, l’image du handisport permet aux employeurs de valoriser leur engagement RSE (Responsabilité Sociétale des Entreprises) qui induit une mixité homme-femmes et valides/handisport dans de tels partenariats. » Matéo Bohéas, pongiste de l’équipe de France (classe 10, léger handicap de jambe), a quasiment toujours fréquenté des établissements favorisant le double cursus sportif et professionnel. En juin 2020, il a terminé son Master 2 à la fac de STAPS de Nantes sans dédoubler une seule année. « J’ai pu, grâce aux justificatifs des dirigeants fédéraux, bénéficier d’aménagements ponctuels qui répondaient mieux à mes besoins », explique le Tricolore de 24 ans, médaillé de bronze en simple aux Championnats d’Europe 2019. Fort de ce podium et sur les recommandations de la FFH, Matéo Bohéas a intégré l’Armée de Champions. « Cela me permet de vivre du tennis de table. En échange, je dois 25 jours par an à l’Armée (manifestations, témoignages…). Mais je continue à préparer mon Capeps pour garder une activité à côté. » Ces trois champions, tous sponsorisés par des entreprises pourraient se contenter de pratiquer leur sport. « Mais cela ne va pas durer toute notre vie », lancent-ils en choeur. « L’an dernier, j’ai été victime d’un traumatisme crânien. J’ai encore mieux compris l’importance d’avoir une porte de sortie », précise Thomas Civade, arrêté de longs mois. « Les jeunes sont assez nombreux à avoir compris l’importance de poursuivre leurs études et, pourquoi pas, de démarrer une vie professionnelle », corrobore Audrey Le Morvan. Si les entreprises souhaitant embaucher des sportifs de haut niveau handisport n’attachent pas d’importance à la typologie du handicap ou au degré d’autonomie, cela est moins vrai pour les contrats d’image. « Cela n’est pas lié au degré de handicap », avance Marie-Amélie Le Fur. « En revanche, les sportifs présentant des grands handicaps pratiquent souvent des sports moins médiatisés et moins connus. Ils éprouvent ainsi plus de difficultés à générer des revenus liés à leur activité sportive. »

La vie professionnelle, un équilibre mental et financier

De nombreux sportifs travaillent donc pour vivre et financer leur carrière. Mais cela s’avère aussi être un pilier indispensable de leur équilibre. Maxime Valet, diplômé de médecine en 2017 et Marie-Amélie Le Fur ont, tous les deux, bénéficié d’un détachement total pendant une période de leur vie. « Le côté pro m’a manqué parce que j’ai rompu mon équilibre », lance Maxime Valet. Le 100 % sport n’a pas non plus satisfait la Présidente du CPSF. « De fin 2011 à 2013, je n’avais que les entraînements et les engagements associatifs », se souvient Marie- Amélie Le Fur. « J’avais certes du repos et de la qualité d’entraînement, mais j’avais une telle pression que ça en devenait néfaste. Je me suis alors rapprochée d’EDF pour travailler tout en bénéficiant d’un aménagement de mon emploi du temps. C’est un exutoire psychologique. » Mais cela demande des sacrifices et une organisation millimétrée. La parfaite maîtrise du planning est un élément fondamental de la performance. Auquel cas, les projets multiples sont sources d’épanouissement personnel, familial et sportif. Le 100 % sport ne correspond pas à toutes les personnalités et n’est pas compatible avec toutes les disciplines. Néanmoins, comme le très haut niveau réclame aujourd’hui un investissement total à sa pratique, la FFH s’efforce d’apporter à ses champions des solutions (CIP, aménagements, partenariats…) pour qu’ils assurent ou préparent leur après-carrière tout en restant hautement compétitifs.

Avis d’expert

Le cas des guides et accompagnateurs

Les guides ou accompagnateurs contribuent pleinement à la performance. Depuis près d’une décennie, ils figurent aussi sur les listes de sportifs de haut niveau quand leur binôme les intègre. La FFH oeuvre aussi pour leur trouver, quand la demande est faite, des CIP. « Les entreprises n’attachent pas d’importance au fait que la personne soit valide ou en situation de handicap », assure Audrey Le Morvan. Kerwan Larmet, guide du skieur Thomas Civade depuis deux ans, n’est pas encore dans cette démarche. « Comme Thomas, je bénéficie des aides apportées aux sportifs de haut niveau et de partenariats », explique le jeune homme de 22 ans.

Repères

Les teams renforcent l’adn multisports de la FFH

Les élèves écoutent attentivement Arnaud Assoumani. Le champion paralympique 2008 en saut en longueur, né sans avantbras gauche, intervient dans le cadre de l’action « Un champion dans mon école » initiée par EDF, dont il est membre du Team. Aujourd’hui, environ 200 des 400 sportifs de haut niveau de la FFH sont soutenus par une ou plusieurs entreprises à travers des Teams, des regroupements de sportifs ou un statut d’ambassadeur de la marque. « Ce sont des hommes, des femmes, des athlètes, présentant ou non un handicap et qui pratiquent des sports différents », précise Adrien Balduzzi. « Cela renforce notre ADN multisport. C’est un avantage en termes de cohésion dans l’optique des Jeux parce que les sportifs d’un même team ou regroupement peuvent apprendre à se connaître, échanger sur leurs réalités et nouer des liens lorsqu’ils se retrouvent sur des manifestations sportives ou extra-sportives. » « Les sociétés leur apportent les ingrédients économiques, matériels et logistiques, favorisant la haute performance. Décrocher un tel partenariat apporte, à la fois, de la sérénité et une grande reconnaissance. C’est une valorisation du profil d’athlète », reprend le responsable des partenariats FFH. Si certains sportifs de haut niveau représentant une entreprise en sont salariés, la majorité d’entre eux bénéficie seulement d’un contrat d’image. Ils sont généralement accompagnés durant une ou plusieurs paralympiades. Les sportifs interviennent lors de conférences internes à l’entreprise ou lors de temps d’échanges organisés avec leurs clients. Ils véhiculent ainsi des valeurs positives pour l’entreprise tout en assurant la promotion du mouvement handisport. Certains, comme Arnaud Assoumani, peuvent intervenir dans des écoles ou participer à des événements organisés par la marque.

Entretien avec Audrey le morvan

“ Les entreprises ne se focalisent pas sur le handicap.”

Audrey Le Morvan, pongiste de l’équipe de France handisport jusqu’à l’Euro 2013, est responsable du suivi socio-professionnel à la FFH.

Pouvez-vous nous expliquer en quoi consiste votre mission ?
J’accompagne des sportifs de haut niveau qui ont des besoins alors qu’ils sont, soit salariés d’une entreprise, soit à la recherche d’un emploi. Quelques étudiants peuvent aussi avoir besoin de justifier leurs absences.

Concrètement, ça donne quoi ?
J’ai repris ce que Valentine Duquesne, en poste avant moi, faisait, notamment en termes de mise en place et de renouvellement des Conventions d’Insertion Professionnelle. Je réponds aussi aux demandes d’entreprises bien particulières. J’assure le suivi des dossiers auprès des employeurs partenaires (CNSD, Armée des champions, SNCF…) et celui des sportifs salariés dans les entreprises lambda.

Quelle est la nature de ce suivi ?
Je vérifie si le sportif et l’entreprise sont en phase. Il convient de voir quelles sont les épreuves majeures à préparer et à disputer, d’anticiper au mieux les absences à venir durant la saison. Il faut aussi veiller à ce que les sportifs valorisent bien leur entreprise sur les réseaux sociaux et lors d’interventions spécifiques.

Quel est votre coeur de cible exactement ?
Ce sont principalement les sportifs de haut niveau élite, seniors et relève qui ont un potentiel médaille et un potentiel Jeux.

Quelles difficultés rencontrez-vous ?
Ce sont surtout des problèmes de compatibilité entre les offres et les attentes des sportifs. Parfois, des entreprises désirent embaucher un sportif de haut niveau et réfléchissent alors au poste dans lequel celui-ci va s’épanouir. On a aussi assez peu de demandes en direct. Généralement, les entreprises passent par l’Agence Nationale du Sport (ANS) qui relaie ensuite les options possibles. Enfin, il peut y avoir des problèmes géographiques. Une entreprise lilloise peut proposer à un sportif basé à Marseille un poste mais en raison de la structure d’entraînement dont il dispose dans le sud, il lui est difficile d’accepter l’offre.

Des métiers sont-ils plus pourvoyeurs de postes que d’autres ?
Non. Il y a vraiment tous les métiers. Et les sportifs ont des recherches très variées. Actuellement, l’un d’eux cherche un poste de cuisinier en collectivité, parallèlement, un autre veut entraîner dans un club d’athlé. Certains sont plus intéressés par des fonctions administratives. Les offres des entreprises sont aussi très diverses.

Existe-t-il une corrélation entre l’autonomie du salarié et la chance d’être embauché ?
Non. Quand je fais le point entre les personnes qui sont en recherche d’emploi et celles qui trouvent, je me rends compte qu’il y a des handicaps moteurs plus ou moins grands, des déficients sensoriels… Les entreprises ne se focalisent pas sur le handicap. Certains sportifs sont en manque d’autonomie mais ils ne cherchent pas d’emploi pour diverses raisons. Il faut respecter la situation de chacun. Cédric Nankin, amputé des quatre membres, voulait travailler et on a trouvé une réponse. Il n’y a pas de règle. 
// Propos recueillis par J. Soyer