Handicaps invisibles, mieux les comprendre


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La snowboardeuse Cécile Hernandez-Cervellon, jeux paralympiques de PyeongChang 2018.

Si la fédération française handisport accueille principalement des sportifs présentant des handicaps moteurs ou sensoriels, ces déficits peuvent être accompagnés par des troubles associés non visibles. Ceux-ci touchent principalement les personnes présentant un handicap d’origine neurologique (cerveau ou moelle épinière). L’éventail des déficiences est large allant des troubles cognitifs (mémoire, comportement, émotion) aux difficultés musculaires (paralysie ou au contraire spasticité) en passant par des problèmes de coordination musculaire. Il existe donc une grande hétérogénéité de l’impact de ces troubles associés sur la performance d’un athlète ayant un handicap non visible.

Dossier réalisé par J. Soyer

Lundi 12 mars 2018. Jeux paralympiques d’hiver de PyeongChang, demi-finale du snowboardcross. Cécile Hernandez-Cervellon est contrainte de patienter avant de se lancer. Le système électronique de la porte de départ est tombé en panne. La course est retardée. Une attente lourde de conséquences pour la snowboardeuse française, éliminée en demi-finale alors qu’elle venait chercher l’or. La fatigue s’est imposée à celle qui a aussi décroché l’argent en slalom lors de ces jeux coréens. Inéluctablement. Au fil des heures qui passent, sa force diminue…


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La journaliste de formation, 46 ans en juin, présente un handicap invisible lié à la sclérose en plaques. Une maladie neurodégénérative qui cause des déficiences imperceptibles pour l’entourage. « montrer et démontrer l’invisible est très difficile », lance cette mère de famille, qui mène ce combat sur les pistes comme dans la vie (elle est l’égérie d’une campagne de sensibilisation dédiée à cette cause). Pourtant, la maladie touche son cerveau et sa moelle épinière.
« Tout mon corps est handicapé. Dès que je cours un peu, je ressens des contractions du diaphragme qui m’obligent à arrêter au bout de quelques mètres », développe-t-elle. « Au fil des heures, mes aptitudes diminuent. Je vois moins bien, je tremble davantage, je peux de moins en moins bien fléchir mes jambes, je perds de la force et de l’énergie », énumère-t-elle. « Je dois aussi composer avec une grande fatigabilité. » Un déficit que le repos ne suffit pas à gommer comme pour tout à chacun.
Toute sa vie est orchestrée en fonction de cela. « Je ne peux pas faire de séances trop longues parce que sinon je risque de tomber en arrière faute d’équilibre, ni même randonner avec l’équipe de France, lors des phases de récupération. » Pourtant, Cécile Hernandez-Cervellon, contrairement à la majorité de ses adversaires, généralement amputées, possède toutes les parties de son corps. Elle ne porte pas de prothèse, se déplace sans guide et de temps en temps, seulement, avec l’aide d’une canne. « C’est aussi difficile parfois avec des entraîneurs qui me demandent plus d’efforts, par méconnaissance des limites inhérentes à la maladie », ajoute-t-elle.
L’encadrement de ces sportifs demande une expertise pointue et de l’écoute pour adapter les entraînements et les pratiques. Le caractère évolutif, dans certains cas, ajoute un handicap supplémentaire : celui de s’adapter à ses nouvelles facultés.

"Montrer et et démontrer l’invisible est très difficile.”

Les handicaps sensoriels

Tout comme la cécité, la surdité compte aussi parmi les handicaps invisibles. Les personnes sourdes ou malentendantes, sont souvent sujettes à des pertes d’équilibre. « Elles ont tendance à pencher d’un côté ou de l’autre », pose Davy Lacroix, directeur sportif du bowling sourd. « Elles compensent mais c’est une réalité. Les appareils auditifs remettent à niveau ce genre de problème. Mais pour les compétitions F.F.H., dans un souci d’équité, tout se joue sans appareil. »
Les sportifs malvoyants ont aussi des limites indétectables à l’oeil nu. Capables, dans la majorité des cas, de se déplacer sans guide, sans canne, leur handicap est souvent minimisé et mal identifié. « Il est très difficile pour un malvoyant d’expliquer son handicap et de le faire comprendre. Certains vont voir parfaitement droit devant eux mais ne vont rien voir sur les côtés (vision tubulaire) », explique Charly Simo, référent des pratiques pour les personnes déficientes visuelles à la F.F.H.
En cécifoot, par exemple, si la catégorie B1 est dédiée aux personnes non-voyantes (évoluant tous avec un bandeau), les catégories B2 et B3, non paralympiques, sont réservées aux personnes malvoyantes. « Elles évoluent toutes sans bandeau. En revanche, on met des ballons à grelots, de couleur différente de la surface de jeu. Et on ajoute souvent des barrières latérales. » Charly Simo, également directeur sportif du cécifoot, se souvient : « Un jour, j’ai positionné un joueur sur le flanc droit parce qu’il était gaucher et pouvait rentrer sur son bon pied pour frapper directement. Mais il était inefficace défensivement. À la pause, il m’a expliqué qu’il ne voyait pas sur les côtés. Quand je l’ai changé de côté, il a été extra. » D’autres vont être aveuglés par la luminosité, quand certains ont une vision trouble en permanence. « Il faut aussi distinguer le champ visuel et l’acuité visuelle », pointe aussi le référent fédéral.


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Paralysie cérébrale et troubles cognitifs

Une difficulté que ne connaissent pas les 3000 sportifs de la F.F.H. ayant une paralysie cérébrale ou des troubles cognitifs, quand ce ne sont pas les deux… Si ceux-ci n’altèrent pas toujours davantage les fonctions locomotrices, ils perturbent la pratique et l’apprentissage. Ce sont des facteurs aggravants. « Les causes peuvent être variées (infections, A.V.C.…) », estime Frédéric Rusakiewicz, médecin fédéral national de la F.F.H. Les cérébro-lésés peuvent parfois se retrouver à concourir contre des adversaires présentant apparemment les mêmes handicaps physiques mais possédant des symptômes associés très hétérogènes. Aucun cas n’est identique, en dépit même d’un tableau clinique très proche.
« Les troubles et handicaps peuvent influer sur la concentration, la mémoire, l’attention et peuvent aussi provoquer de l’inhibition. Cela pose un problème, tout comme, à l’inverse, les troubles de l’initiative », énumère Louise Debry, neuropsychologue au centre médical et pédagogique Jacques Arnaud à Bouffémont, dans le Val d’Oise. « L’ouïe, la vue, l’élocution, le langage peuvent aussi être impactés… »

Des troubles invisibles très variés

L’encadrement doit absolument tenir compte de ces différentes déficiences dans son approche avec les sportifs. Patrick Ardon, haltérophile de l’équipe de France handisport, présente une importante spasticité des membres inférieurs. Un signe lié à une paralysie cérébrale qui gêne son équilibre. Mais à le voir soulever une barre de 150 Kg, personne ne peut imaginer ses difficultés à réaliser des élévations latérales avec des haltères beaucoup moins lourdes. « Intégrer chaque nouveau geste lui demande de nombreuses répétitions et beaucoup d’efforts en termes de coordination », précise Alexis Quérou, son entraîneur depuis 2010 et professeur d’E.P.S. à l’institut d’éducation motrice de Gonesse (Val d’Oise) depuis 14 ans.
« Le trouble spatio-temporel est également récurrent », ajoute Louise Debry. En athlétisme, rester dans son couloir peut demander à certains un an d’entraînement. Sylvie Talmant et Jo Maisetti, cadres de la commission athlétisme de la FFH, suivent Mandy François-Elie, 30 ans. Médaillée d’or aux jeux paralympiques de Londres 2012 et d’argent à Rio, sur 100 m, l’enfant du Lamentin, licenciée au foyal club handisport (Fort de France - Martinique), a été victime d’un A.V.C. à 18 ans. Des troubles invisibles s’ajoutent à la paralysie de son côté droit. « Au fil des séances, Mandy a réussi à bien s’intégrer au collectif d’entraînement. » Prendre le temps de bien expliquer aux autres membres du collectif permet de lutter contre l’isolement et la marginalisation des sportifs cérébro-lésés. La championne paralympique a également participé à un stage avec son groupe. Ses progrès en collectivité sont spectaculaires. « Quand elle dépasse les bornes, je le lui dis et elle va s’excuser », apprécie Sylvie Talmant. « Aujourd’hui, tous ses partenaires d’entraînement la connaissent. Ils comprennent ses réactions et ses besoins. Ainsi, lors des déplacements, la bienveillance est de mise. »

Former et informer les staffs

Sur la piste, la donne a aussi changé. « Maintenant, lorsque nous effectuons les exercices d’équilibre et de franchissement de haies pour assouplir les hanches, Mandy montre l’exemple », se réjouit la coach.
Sylvie Talmant apporte également une aide administrative à Mandy François-Elie, dont la mémoire fait défaut. Ces déficits mnésiques, troubles de la mémoire, peuvent avoir des conséquences importantes dans d’autres pratiques. Celles notamment où les sportifs doivent effectuer des reconnaissances de parcours (ski, cyclisme,…).
L’émotivité est souvent exacerbée. « Le discours doit apporter des corrections sans piquer au vif », résume Laurence Le Franc, kiné de la commission boccia. Il ne faut pas négliger ou sous-estimer un ressenti exprimé. La fatigabilité est aussi un élément déterminant. « Lutter contre des gestes parasites demande énormément d’énergie et de concentration », souligne-t-elle.
Les recettes : donner des consignes précises, concises et imagées. Avancer pas à pas et s’assurer de la bonne compréhension du sportif. « En général, ils ne disent pas qu’ils n’ont pas compris. Cela génère donc un stress et une situation d’échec », précise Marie-Pierre Le Blanc, entraîneure nationale de la boccia, pratiquée par des personnes en situation de grand handicap physique et d’origine neurologique. « Bien connaître le sportif et son environnement, échanger régulièrement avec son entourage permet de mesurer son état de forme. De mieux anticiper, de s’adapter et d’utiliser ses points forts pour compenser ses déficits. Comme utiliser un code couleur pour aider un joueur à maîtriser le jeu long et le jeu court. » Former et informer les staffs est donc primordial.
L’attitude et la posture à adopter face aux personnes cérébro-lésées sont codifiées et doivent être bien appréhendées. « Cela ne s’improvise pas, sinon on est vite débordés », affirme Frédéric Rusakiewicz.


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En savoir plus : Les Cahiers des Experts,
“La Prévention des facteurs de risque Handisport”
http://mediatheque.handisport.org

Repères

Lexique médical

Paralysie cérébrale : handicap résultant de lésions irréversibles survenues sur le cerveau du foetus ou du nourrisson (avant 2 ans), dues à la destruction de cellules du cerveau en développement. Ces lésions provoquent un ensemble de troubles du mouvement ou de la posture, souvent accompagnés de difficultés cognitives ou sensorielles, qui durent toute la vie.
Troubles cognitifs : désigne un trouble mental qui affecte la mémoire, la gestion des émotions et du comportement, entre autres…
Lésions cérébrales acquises : lésion du cerveau ou de la moelle épinière. Celle-ci survenant en péri natal, c’est la paralysie cérébrale ou, après leur 2 ans (à distance) par les causes suivantes : traumatisme crânien (causé par une chute), accident vasculaire cérébral (embolie cérébrale ou rupture d’un vaisseau sanguin), tumeur cérébrale et/ou son exérèse, anoxie (le cerveau est privé de l’oxygène dont il a besoin) ou encore agent infectieux ou toxique provoquant la destruction des cellules nerveuses.
Spasticité : contraction permanente du muscle responsable des attitudes rigides des membres supérieurs ou inférieurs des personnes cérébro-lésées. Une spasticité est présente jusque dans un tiers des accidents vasculaires cérébraux et jusqu’à deux-tiers des patients ayant une sclérose en plaques.
Maladies neurodégénératives : ce sont des maladies chroniques invalidantes à évolution lente et discrète. Elles provoquent généralement une détérioration du fonctionnement des cellules nerveuses, en particulier les neurones, pouvant conduire à la mort cellulaire (ou neurodégénérescence). Les troubles induits par les maladies neurodégénératives sont variés et peuvent être d’ordre cognitivo-comportemental, sensoriel et moteur.
Champ visuel : cela représente l’espace qu’un oeil fixant droit devant lui peut distinguer.
Acuité visuelle : capacité d’accommodation de l’oeil pour percevoir une image nette, de loin, comme de près.


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Témoignage


© B.Loyseau

Michel Schaller

À 50 ans, Michel Schaller a porté les couleurs de l’équipe de France de tennis de table entre 1995 et 2012. Le pongiste, hémiplégique côté gauche lié à une paralysie cérébrale, a participé aux jeux paralympiques à Atlanta (1996), Sydney (2000) et Athènes (2004, photo). Médaillé d’argent par équipe en 2000 et 2004, il est également champion du monde par équipe en 1998 et 2002 et deux fois médaillé de bronze en simple aux championnats d’Europe 1995 et 2003. Il évoque les conséquences des troubles cognitifs liés à sa paralysie cérébrale légère.

« Enfant, je n’ai commencé à parler qu’à l’âge de 3 ans et j’ai été suivi par un orthophoniste durant 10 ans. Je me souviens que l’apprentissage me demandait davantage d’efforts à l’école. Il me fallait parfois 10 ou 15 minutes pour enregistrer ce que d’autres assimilaient en 5 minutes. Au tennis de table, acquérir et maîtriser de nouveaux gestes passait par beaucoup de répétitions, beaucoup de paniers de balles. Il me fallait aussi répéter, fréquemment, des schémas de jeu pour bien les intégrer et en faire des automatismes. Outre les problèmes d’équilibres liés à mon handicap physique, j’avais aussi quelques difficultés de coordination, notamment au service. Mais le sport m’a beaucoup aidé à progresser et à gommer quelques gestes parasites. En revanche, je n’ai pas connu de problème de fatigabilité et assez peu de difficultés à rester concentré sur la durée. Je gérais également assez bien mes émotions. »

Entretien avec Vincent Ferring

Responsable des kinésithérapeutes à la fédération française handisport, il explique les enjeux de la classification lorsqu’il s’agit de handicaps invisibles.

Pourquoi certains handicaps invisibles sont éligibles et pas d’autres ?
Il y a deux caractéristiques principales : d’une part les troubles et d’autre part leur nature. Hors, seuls dix déficits ouvrent droit à participer aux jeux. D’autres n’entrent pas en considération alors qu’ils sont très handicapants.
Par exemple, la douleur n’entre pas en compte. Ces déficiences sont très complexes à évaluer et il est difficile de mesurer leur impact sur la pratique sportive. En somme, tout ce qui n’est pas mesurable a du mal à entrer dans les codes et le propos même du mouvement paralympique. La classification est la porte d’entrée dans le mouvement paralympique.


© G.Picout

Mais certains sportifs, déficients visuels par exemple, peuvent être dans certains cas éligibles, mais pas dans d’autres ?
Il y a en effet toujours une limite, un seuil. C’est le minimum de “handicap”. Si un déficient visuel a plus d’un dizième au meilleur des deux yeux, il n’est pas identifié comme “assez” handicapé. Cela procède donc toujours de la même analyse : y-a-t-il une famille de déficience qui ouvre droit à, et ensuite le déficit est-il suffisant pour que la personne soit éligible ?
Cela vaut aussi par exemple pour la sclérose en plaques. Parfois la plaque peut se situer sur une partie du cerveau ou de la moelle épinière et causer une perturbation du tonus musculaire, la spasticité qui est l’une des déficiences reconnues. Cela génère des frustrations pour ceux qui ne sont pas dedans. S’il faut justifier d’être porteur d’une maladie pour pouvoir être classifié, aujourd’hui, la classification est davantage une classification fonctionnelle. Parfois quand la déficience est invisible, il n’y a pas d’impact locomoteur et le sport se joue majoritairement sur cet aspect.

"Les handicaps les plus visibles ne sont pas forcément ceux qui impactent le plus les sportifs.”

Le système de classification repose donc sur des aspects démontrables ?
Il faut que la maladie soit bien identifiée. Qu’elle produise un des dix déficits dont on a parlé. Ensuite, lors des tests de classification, on mesure si le déficit produit un impact suffisant sur l’activité pour que la personne soit éligible. Il y a aussi ce qui est vraiment invisible et ce que l’on ne veut pas voir parce qu’on le comprend mal. À ce titre, la classification repose désormais le plus possible sur des tests validés scientifiquement.

Il est donc primordial, encore plus dans l’optique de Paris 2024, de bien expliquer ces subtilités liées à la classification ?
Il faudra donner une visibilité, une explication à la hauteur de ce que le grand public attend via des petites capsules vidéos comme les « Paralymquoi ». Il faut expliquer les règles et la classification. Tout ça est nécessaire pour regarder avec plaisir une activité sportive à la télé, faute de quoi on ne comprend pas le sens à donner aux performances. Si la compétition est incomprise, elle n’est pas regardée. Il faut donc bien souligner que les handicaps les plus visibles ne sont pas forcément ceux qui impactent le plus les sportifs d’une même activité. Les apparences sont parfois trompeuses.

// Propos recueillis par J. Soyer

Paralymquoi ?

Pour mieux comprendre ou expliquer les sports et les classifications, retrouvez toutes les vidéos “Paralymquoi ?» sur notre chaîne Viméo.
http://paralymquoi.handisport.org