Champions de demain

Paris 2024, c’est demain. Préparer les équipes de France et renouveler les effectifs sont des enjeux majeurs pour les différentes fédérations paralympiques et olympiques. La Fédération Française Handisport attache une importance majeure à la détection de jeunes talents. Le projet fédéral s’appuie sur les comités départementaux et régionaux dans ce champ. Si l’attribution des Jeux Olympiques et Paralympiques à Paris a été un catalyseur, la structuration de la politique de détection a démarré en 2010. Le processus se poursuit afin d’affiner le maillage pour étoffer les effectifs jeunes. Dossier réalisé par Julien Soyer

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Nantes, samedi 23 février. Le stadium Pierre-Quinon est le théâtre des Championnats de France handisport indoor d’athlétisme. Julien Héricourt, directeur sportif de la discipline à la FFH, se réjouit de découvrir autant de nouvelles têtes, des jeunes principalement. Certains représenteront la France lors des JOP 2024 à Paris. « Les autres, en athlé comme dans les différents sports, contribueront à apporter de la densité au circuit national et ainsi à renforcer la valeur des titres de champions de France », affirme Sami El Gueddari, responsable des référents PAS (Parcours d’Accession Sportif) territoriaux pour la FFH. Tous, en revanche, assureront la relève du mouvement handisport basé sur la singularité, l’autonomie et l’accomplissement.

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La détection est l’un des axes forts de la direction technique nationale de la FFH. Une volonté politique qui dépasse l’obtention des Jeux de Paris, le 13 septembre 2017. « Depuis les Jeux de Londres, en 2012, nous sommes passés d’un modèle opportuniste à un modèle fédéral structurant, mais pas cloisonnant », pose Pierrick Giraudeau, directeur de la performance au titre de la Fédération Française Handisport.

Un cadre structurant mais pas cloisonnant

Si le système répond au plus grand nombre et permet de fixer une ligne directrice, il doit aussi permettre d’apporter aux profils « hors norme », plus fréquents dans le champ paralympique que dans le champ olympique, des réponses singulières. « Pour chaque sportif, il va falloir travailler sur son environnement, sa cellule locale d’entraînement par rapport à ses capacités et la nécessité ou non, par exemple, d’avoir besoin de partenaires d’entraînement », ajoute le directeur de la performance.

Initiée au niveau national, lors des événements tels que le Grand Prix des Jeunes, les Jeux de l’Avenir ou le stage national Jeunes À Potentiel (JAP), la détection démarre désormais dans les territoires. « Elle s’organise prioritairement grâce à nos comités », insiste Pierrick Giraudeau. « Si dans le champ de la performance, ces derniers ne devaient s’approprier qu’une seule mission, ce serait celle-ci. Cela peut passer par des journées spécifiques de détection et les stages JAP. » La Bretagne, précurseur, a lancé son premier stage JAP en 2012. Dix régions ont aujourd’hui leur JAP régional, à savoir un regroupement de jeunes de moins de 16 ans auxquels les comités proposent pendant au moins deux jours et demi la pratique de trois à quatre disciplines différentes parmi lesquelles la boccia, le tennis de table, l’athlétisme et la natation. Le tout encadré par des référents régionaux et/ou des techniciens nationaux, présents pour orienter ces sportifs en devenir et échanger avec les équipes techniques régionales. « Les JAP régionaux sont un passage obligatoire pour espérer accéder au JAP national. Ça nous permet aussi de voir et revoir les jeunes », argue Camille Guillou, référente PAS en Bretagne. « Certains ne semblent pas prêts à un instant T, pour franchir un échelon supérieur sur la route du haut niveau ou se lancer dans la compétition. Mais quelques années plus tard, ils ont mûri et y ont trouvé un intérêt. Garder le contact est indispensable. » Les cellules régionales favorisent un suivi de proximité déterminant dans la réussite de leur projet sportif à leur âge.

"Voir et revoir les jeunes, garder le contact est indispensable."

Les territoires, acteurs majeurs

Les structures régionales sont devenues des acteurs incontournables de la détection. « Le JAP national, dont le niveau ne cesse d’augmenter, n’est que l’expression de la qualité du travail des territoires », décrypte Sami El Gueddari. De plus en plus de jeunes qui n’étaient pas dans le mouvement sont, à ce jour, identifiés. « C’est la résultante des automatismes des clubs qui nous renvoient de plus en plus de profils via des mails, des résultats, des vidéos ou par téléphone. » Ces progrès traduisent les efforts consentis par les présidents des comités qui permettent une implication de leurs salariés sur cette thématique. « L’accompagnement des jeunes en situation de handicap est très chronophage parce qu’il faut rassurer les sportifs et les familles sur le mouvement handisport. L’accompagnement se fait avant et après les regroupements, afin de s’assurer que le jeune adopte une pratique pérenne.» D’où l’importance de proposer un schéma jalonné par des points d’étape réguliers. « Amener un sportif sur les podiums paralympiques demande désormais plus de dix ans de pratique régulière », situe Sami El Gueddari. « À travers le cheminement, les sportifs doivent mesurer leurs progrès. Les échanges réguliers entre les groupes de différents niveaux entretiennent l’envie et donnent des références accessibles ».

La notion de pratique « multisports », pour commencer, est déterminante, notamment avec les plus jeunes. Les stages et journées « découverte », le JAP régional puis national entrent dans cette logique et permettent de détecter, d’évaluer et d’orienter le jeune en fonction de ses aspirations, de sa pathologie et de son âge. 90 % des jeunes actuellement présents dans les collectifs « relève » sont passés par le JAP national.

Ces rendez-vous multisports trouvent un prolongement dans les stages de perfectionnement uni disciplinaire. L’ambition, dans un futur proche, est de parvenir à mettre sur pieds des circuits de compétition régionaux, dans chaque discipline paralympique, afin de donner un sens à ces parcours d’entraînement. L’enjeu consiste à apporter une réponse adaptée aux sportifs pour leur permettre de mener sereinement leur double projet. Les solutions peuvent être locales, dans le club et l’établissement scolaire du champion de demain… ou fédérales.

Un accompagnement étoffé

La mise en place d’un pôle espoir multisports, comme à Albi dans le Tarn, et de cinq pôles espoirs régionaux unisport vont dans le même sens : cyclisme à Urt, basket fauteuil à Meaux, athlétisme à Saint-Cyr-sur-Loire…. De même, le Centre Fédéral Handisport (CFH), ouvert depuis 2011 au Creps de Bordeaux-Aquitaine, est une réponse apportée par la fédération à la volonté de jeunes basketteurs, athlètes et nageurs de fréquenter les sommets paralympiques, sans délaisser leurs ambitions professionnelles. « Le CFH est la structure fédérale “ressources” sur un plan national de formation sportive, mais elle n’est pas exclusive. Les pôles espoirs, une structure privée en Auvergne Rhône-Alpes et d’autres associations impliquées dans le haut niveau fonctionnent très bien », explique Pierrick Giraudeau, directeur du CFH. « L’une des premières questions que l’on se pose quand on analyse les dossiers des candidats est de savoir si, localement, ils ne disposent pas d’une réponse adaptée à leur ambition de mener un double projet. Néanmoins, un passage au CFH, à un moment ou à un autre, me semble être un accélérateur dans le parcours de chacun des sportifs ». Cette structuration est assortie d’une formation toujours plus poussée des référents PAS territoriaux. Elle s’effectue sur des temps dédiés lors du JAP national, lors d’échanges pendant les JAP régionaux et les Journées nationales handisport. « Il faut donner les outils pour détecter ».

L’étape suivante serait de parvenir à faire émerger des entraîneurs régionaux au sein d’équipes régionales. Aux portes des équipes de France élite, la cellule performance a également ajouté un relais important pour l’accompagnement des jeunes vers le haut niveau. Depuis janvier 2018, Jérôme Humbert chapeaute tous les référents disciplinaires des collectifs espoirs. « Chacune des douze commissions des sports paralympiques d’été compte un responsable collectif relève », se réjouit Pierrick Giraudeau. « Cela permet de mieux structurer l’offre de stage, de compétitions internationales, d’accompagnements et de structures d’entraînement à proposer aux sportifs ». De mieux préparer la transition vers le collectif senior. « Ce dispositif englobe notamment la cinquantaine de sportifs concernée par les Jeux Européens Paralympiques de la Jeunesse ».

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En régions


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La bretagne, région pilote

La Bretagne, région pilote en matière de JAP régional, a lancé son premier stage en 2012, douze jeunes y étaient inscrits. « Cette année, nous avions à Dinard 37 stagiaires de moins de 16 ans, répartis sur quatre stages », se réjouit Camille Guillou, référente PAS (Parcours d’Accession Sportive) du comité départemental finistérien. « Les Bretons permettent ces échanges bénéfiques et motivants entre les jeunes du stage perfectionnement, du JAP régional et même ceux du stage découverte. » Camille Guillou et ses collègues entretiennent aussi l’existence d’une délégation bretonne « afin de ne pas laisser des jeunes isolés ou quasi isolés ». Il existe ainsi un suivi régulier entre les stages et les compétitions. Outre la détection, le comité breton réfléchit aussi à maintenir sa relève dans une démarche de qualité sur du perfectionnement et du haut niveau en Bretagne. « On veut essayer d’apporter des réponses aux jeunes qui ne peuvent pas aller, pour des raisons diverses, sur des pôles France ou espoir », reprend Camille Guillou. « C’est l’un des projets forts de notre équipe régionale. »

L’appellation paralympique séduit

La détection menée par la FFH ne cesse de progresser. Ces évolutions révèlent aussi un changement de mentalité lié à la médiatisation des Jeux Paralympiques de Rio et de PyeongChang. « Il arrive de plus en plus souvent que des jeunes citent en référence des sportifs en situation de handicap comme Marie-Amélie Le Fur ou Marie Bochet, entre autres. »

L’approche paralympique est d’ailleurs un levier intéressant. Le projet « La relève », lancé par le Comité Paralympique et Sportif Français, en collaboration avec toutes ses fédérations membres, vise à inviter des personnes en situation de handicap motivées par la perspective d’une pratique sportive intensive et par la compétition, mais pas encore identifiées par les fédérations.
Elles vont se rendre sur un site de proximité afin de tester leurs capacités générales et rencontrer des sportifs et dirigeants des fédérations paralympiques. « C’est l’une des clés de la réussite », estime Pierrick Giraudeau. L’ambition de ce programme est de faciliter le parcours de ces personnes vers une pratique adaptée à leurs capacités et aux possibilités locales, mais aussi pour les fédérations, de détecter de futurs talents dont il conviendra de favoriser l’éclosion.
Les quelques 350 candidatures reçues, parmi lesquelles on retrouve d’anciens sportifs de haut niveau accidentés, des sportifs du champ valides sensibles à la notion paralympique, témoignent de la pertinence de l’initiative, matérialisée par cinq journées de tests cette année à Bordeaux, Montpellier, Toulon, Vichy et Paris. « La communication est le nerf de la guerre. Il faut montrer, désacraliser et démontrer que l’on parle avant tout de sport », insiste Sami El Gueddari.
Le programme « Jeunes À Potentiel » et ses déclinaisons territoriales, la mise en place de rendez-vous réguliers, le PAS, les équipes étoffées afin d’accompagner les meilleurs profils et les actions nouvelles, le « Dispositif de valorisation territoriale » porté par la présidence et la DTN ou encore l’ambition d’aller à la rencontre des jeunes dans les centres ou leurs lieux de vie…

Toutes ces initiatives placent la détection au coeur du projet FFH. Une thématique en perpétuelle évolution qui a pour but de s’ancrer dans le temps. Paris 2024 doit laisser un vrai héritage sportif pour les Jeux de 2028, 2032, et au-delà… // J. Soyer

 

Zoom

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La Délégation française en 2015 lors des 1ers Jeux Européens Paralympiques de la Jeunesse, organisés en Croatie
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Les jeux européens paralympiques de la jeunesse

La formation d’un athlète de haut niveau passe par les grands rendezvous internationaux. Les Jeux Européens Paralympiques de la Jeunesse, organisés tous les deux ans depuis 2015, en font partie, et proposent à la relève de se confronter à l’international dans un format ressemblant aux Jeux Paralympiques.

Les formules de compétition sont proches des standards des épreuves internationales de référence. Avec la vie dans un village, une délégation multisport à souder et à animer… « C’est un déclencheur intéressant. Une grande partie des Français présents en 2015 sont aujourd’hui dans les collectifs A ou à leurs portes », pose Sami El Gueddari. Après avoir fait l’impasse en 2017, en raison de dates peu propices, la France sera à Litha en Finlande du 25 au 30 juin 2019. Cinq disciplines seront représentées : athlétisme, boccia, natation, tennis de table et basket-ball. « L’intérêt de cette épreuve est aussi de familiariser les sportifs à un parcours de sélection », développe Jérôme Humbert. « Si les résultats obtenus lors du chemin de sélection sont importants, les critères reposent aussi sur leur potentiel, leurs conditions d’entraînement et leur investissement. »

 

Entretien avec mathieu defosse

Ancien guide, médaillé de bronze aux Jeux paralympiques de Pékin en 2008, Mathieu Defosse, 36 ans, a travaillé 7 ans au Cercle des Invalides à Paris. Titulaire du Brevet d’État Handisport, ce moniteur de sport de l’armée est détaché 40 jours par an pour encadrer le collectif espoir athlé et oeuvrer auprès des référents PAS* (* PAS : Programme d’Accession au Sport de haut niveau) et développement à la FFH.

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Pouvez-vous nous parler de vos missions ?
Je travaille avec Julien Héricourt sur le collectif espoir athlétisme et avec Sami El Gueddari ainsi que Jérôme Humbert sur la détection et les jeunes. Il y a un côté unidisciplinaire quand je suis sur le collectif espoir d’athlé, et omnisport quand je suis sur la détection. L’objectif étant, en la matière, d’avoir une politique et un langage uniformes et de mutualiser les moyens à terme sur le développement.

Comment se matérialise ce travail de détection ?
Au départ, la détection se faisait surtout pendant les compétitions ou manifestations nationales. De temps en temps, les clubs ou les régions remontaient des profils. Depuis la création du stage national Jeunes à Potentiel (JAP) au CREPS de Bourges et la multiplication des JAP régionaux, la remontée d’infos se fait naturellement et régulièrement. Le message passe de mieux en mieux.

Comment organisez-vous votre temps ?
Je suis sur toutes les compétitions jeunes (Challenge national, Jeux de l’Avenir et Grand Prix des Jeunes), sur les stages de regroupement du collectif espoir et les compétitions d’athlétisme. Avec les équipes du PAS et développement, nous essayons aussi d’être sur tous les JAP. La détection commence dès l’âge de 8-9 ans.

Quel est l’intérêt de se déplacer sur les JAP régionaux ?
C’est primordial. Cela nous permet d’échanger avec les référents régionaux qui sont en contact avec les jeunes et les familles. Cela facilite le filage et densifie le maillage local. L’accompagnement se fait depuis le niveau régional jusqu’au plus haut niveau. Les JAP régionaux nous permettent aussi de connaître les sportifs plus jeunes et donc de les orienter, au mieux, assez rapidement, en fonction de leur pathologie, de leurs aspirations et de leur niveau. Cela permet un suivi quand l’évolution motrice est très importante, lors de la pré-puberté, puis de la puberté. L’intérêt est aussi de pouvoir sensibiliser les clubs valides locaux. On peut conseiller les entraîneurs et les dirigeants afin qu’ils intègrent nos athlètes et le mouvement. 

Comment a évolué l’accompagnement ?
Initialement, les jeunes des collectifs espoirs avaient 17-18 ans, quand aujourd’hui, l’âge moyen oscille entre 14-15 ans. Au départ, ces sportifs s’entraînaient une ou deux fois par semaine alors que maintenant, on a des jeunes beaucoup plus réguliers à l’entraînement.
Quatre jeunes du collectif espoir étaient aux championnats d’Europe d’athlétisme élite à Berlin. Ils savaient comment aborder une compétition de référence : échauffement, entraînement, récupération étaient déjà des routines bien appréhendées. Ils savaient aussi s’adapter au groupe et aux différents encadrants.

Quelles sont les prochaines étapes à atteindre ?
Il faut mettre en place des JAP dans toutes les régions et réussir à couvrir au mieux le territoire, tant en termes de détection que de structures d’accueil. Renforcer ce filage allant de la famille à l’échelon international, sans sauter les étapes. Chacune d’elle étant primordiale. // Propos recueillis par J. Soyer

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