Sports collectifs : le partage, élément moteur


Le club de basket-fauteuil de Hyères, vainqueur de la Coupe de France 2020

La Fédération propose une quinzaine de sports collectifs. Véritables portes d’entrées dans le mouvement, ils favorisent l’inclusion, valorisent toutes les formes de pathologies et amplifient la notion de complémentarité. Outre ces sports par excellence, comme le cécifoot ou encore le rugby-fauteuil, certains, individuels par définition, proposent eux aussi d’évoluer en «teams», en relais, par paire, en équipe mixte ou pas. La notion d’équipe dans ces sports individuels apporte une dimension émotionnelle différente. Dossier réalisé par J. Soyer

« Fêter les victoires avec mes coéquipiers, c’est plus plaisant. Le partage est un élément moteur. » Tétraplégique à la suite d’un accident du travail survenu en 2013, Brice Maurel, 33 ans, ancien footballeur du Montpellier Hérault Sport Club, est entré dans le mouvement handisport par le tennis de table. « Avec la natation, c’est l’un des seuls sports dont on m’a parlé en centre de rééducation. Mais ne pas me battre pour mes coéquipiers me manquait. » Une dimension qu’il a pu retrouver ensuite grâce au rugby-fauteuil.
« Une médaille dans un sport collectif, c’est magique », développe Charly Simo, directeur sportif du cécifoot, dont les Bleus ont décroché l’argent aux Jeux Paralympiques de Londres en 2012. «Il faut développer des interactions, des complémentarités, cet esprit qui converge vers le même objectif au même moment pour performer. »

RÉVÉLATEURS DE PERSONNALITÉS


Il mesure également l’impact de la pratique d’un sport collectif sur la personnalité de chacun. « Certains non-voyants, extravertis avant de perdre la vue, se sont renfermés sur eux-mêmes. Le sport collectif, où il y a plus d’interactions mutuelles entre les pratiquants, accompagnants ou encore les staffs, libère les joueurs. » Brice Maurel, à l’image de nombreux autres sportifs, y voit un autre avantage : « introverti, je me mettais trop de pression. La partager avec mes coéquipiers m’aide à la supporter. » Un sentiment partagé par d’autres évoluant en individuel et par équipe. Comme en boccia, avec l’équipe de France BC3 qualifiée aux Jeux Paralympiques de Tokyo. « Ils ressentent moins de stress en équipe », appuie la directrice sportive, Sophie Ternel. « C’est une première entrée très intéressante dans le parcours fédéral. Cela permet d’échanger et de se retrouver moins seul dans une nouvelle forme de pratique sportive », souligne Pierrick Giraudeau, attaché à la performance et à la haute performance auprès de la DTN. « Ils retrouvent un vrai soutien auprès des autres sportifs dans leur probable nouvelle construction d’un environnement social », ajoute-t-il. Brice Maurel abonde : « le rugby m’a permis de rencontrer beaucoup plus de monde et de me faire évoluer au niveau social. J’ai aussi pu parler plus facilement de mon handicap. Comme c’était tout nouveau pour moi mais que mes partenaires avaient déjà vécu ça, il a été plus aisé de me reconstruire. » Cela aide certains à retrouver la confiance nécessaire pour se réorienter vers un sport individuel.

"L’addition des forces de chacun est démultipliée."


Finale de la Coupe de France de football sourds 2017 à Paris

ACCEPTER L’AUTRE AVEC SES FORCES ET SES FAIBLESSES


Les “sports co” favorisent aussi l’acceptation de l’autre. Au basket-fauteuil, comme au rugby-fauteuil, une règle stipule qu’il ne peut pas y avoir plus d’un certain nombre de points (classification) en même temps sur le terrain. Il convient d’apprendre à composer des équipes compétitives avec des pathologies plus ou moins invalidantes, en tenant compte des particularités et des classifications différentes de ces joueurs. « C’est un vecteur d’acceptation de son partenaire, avec ses forces et ses faiblesses », traduit Pierrick Giraudeau. « Cela intensifie la notion de complémentarité des profils. » Et renforce la notion de collectif et de solidarité. « Une équipe compétitive n’est pas simplement une juxtaposition de talents, c’est une combinaison des joueurs qui vont faire que le 1+1 = 3. L’addition des forces de chacun est démultipliée. » Chacun a un rôle à jouer. Comme au cécifoot qui mêle des joueurs non-voyants et des gardiens de buts voyants. Ces derniers sont en charge des autres joueurs de l’effectif lors des stages et des épreuves pour rejoindre la restauration et les salles de réunions. « Des liens humains riches et de nouveaux chemins de vie se co-construisent entre tous ces sportifs », salue Pierrick Giraudeau. « Cela relève des logiques internes à ces sports collectifs qui favorisent la genèse de moments inoubliables. » L’estime de soi, la confiance procurée par le groupe à chacun de ses membres est aussi l’un des plaisirs évoqués. Comme ces moments de partage dans le vestiaire ou lors des déplacements. En compétition et en stage, un collectif passe énormément de temps ensemble. Lors des repas, des briefings, des rendez-vous pour partir sur le site de pratique… Autant d’instants qui favorisent les échanges en lien avec le sport, la vie de tous les jours, le handicap… 
Les sports collectifs permettent aussi une plus grande reconnaissance de soi, puisque l’on s’attarde moins sur la valeur individuelle de chaque joueur que sur celle d’une équipe. « Si l’équipe est soudée, on verra moins les lacunes d’un joueur ou d’un autre », appuie Damien Beaujon, entraîneur adjoint de l’équipe de France de football sourds : « on gagne et on perd ensemble. » Les sports collectifs sourds concentrent d’ailleurs le plus grand nombre de licenciés au sein de cette communauté de pratiquants.

LES ÉPREUVES PAR ÉQUIPE, UN ATOUT POUR LES SPORTS INDIVIDUELS


Solidarité, partage des émotions… Ces facteurs, comme ceux cités précédemment, se retrouvent aussi dans les sports individuels proposant des épreuves par équipe. Le tir à l’arc, le tennis de table, l’escrime et la boccia mais aussi les relais en athlétisme, en natation ou encore en ski nordique en sont l’illustration. « Les sportifs sont transcendés par l’idée de défendre le drapeau », assure Alain Febvre directeur sportif de l’escrime. « On gagne à cinq. L’aspect collectif est très présent et très fort. » Sophie Ternel a constaté que ses protégés s’étaient davantage révélés en paire à l’international : « l’entraide et l’amitié que certains ont tissées, ont créé une sorte de bulle sécuritaire qui les porte et les rassure », décrypte-t-elle. D’éventuels blocages en individuel, en termes de performances, peuvent donc “sauter” grâce aux prestations par équipe.
La dimension collective facilite aussi l’intégration du plus grand nombre, notamment en boccia. Les agents de développement de comités aiment beaucoup, lorsqu’il s’agit d’initiation, proposer la pratique par équipe. « Elle inclut davantage de monde », poursuit Sophie Ternel. « Les éducateurs, les personnes du réseau handicap ne sont pas toujours des sportifs au départ. Il est donc toujours plus sympa de découvrir un sport quand on peut jouer en mixité et par équipe. » Le changement de règlement, entre les épreuves individuelles et celles par équipe, peut aussi jouer un rôle en escrime. Par équipe, les relais sont pris toutes les cinq touches ou toutes les trois minutes. Un joueur expérimenté, mais peut-être moins enclin à tenir un assaut en quinze touches, peut s’y retrouver davantage.

FAIRE UNE FORCE DES CONTRAINTES LOGISTIQUES


Les sports collectifs possèdent donc de nombreux atouts et répondent aux attentes d’un grand nombre de sportifs de tous niveaux. En revanche, les contraintes logistiques freinent parfois les ardeurs. Un fauteuil en rugby est volumineux et demande un entretien précis et récurrent. Les déplacements sont vite onéreux et demandent une très grande organisation. « C’est vrai », corrobore Michel Terrefond, directeur sportif de la discipline, « il faut aussi un encadrement de cinq à huit personnes, poly-compétentes. Cela renforce les liens et l’entraide, le sens du collectif et le plaisir de se retrouver pour les joueurs. » En boccia, ils ont aussi fait une force des contraintes logistiques. « Ils font du covoiturage pour aller en stage », cite en exemple Sophie Ternel, « ils ont ainsi noué de solides amitiés ! » Sources de plaisirs différents, les sports collectifs favorisent l’inclusion sous toutes ses formes, le regain de confiance et l’épanouissement des pratiquants

AVIS D’EXPERT

FAVORISER LA COHÉSION DANS UNE DÉLÉGATION PARALYMPIQUE

Les sports collectifs favorisent la cohésion dans une délégation paralympique. Les joueurs de ces collectifs sont, pour la plupart, très attachés à la vie de groupe. « Ils génèrent un lien de cohésion naturelle, via des leviers ou modes de communication internes à l’équipe qui relèvent parfois de la franche camaraderie, mais aussi de relations interpersonnelles complètement maîtrisées », ajoute Pierrick Giraudeau.  « Il y a très souvent au sein d’une équipe, deux ou trois boute-en-train qui apportent, au-delà de leur sport, une touche positive. De l’enthousiasme sur l’ensemble de la délégation. » Les coûts et les contraintes logistiques ont poussé la FFH à effectuer des choix forts après Londres. « Mais l’Agence Nationale du Sport, depuis bientôt deux ans, nous apporte des moyens nouveaux. Cela nous permet de nous montrer plus ambitieux sur les sports collectifs », se réjouit Pierrick Giraudeau. « Ça se traduit par l’apport de moyens et de compétences complémentaires pour œuvrer sur cette notion collective et la force de l’équipe. »

SPORTS D’HIVER

UNE DIMENSION COLLECTIVE

La dimension collective, en termes d’état d’esprit y est très présente et naturelle pour le ski alpin, le ski nordique et le snowboard. « L’esprit d’équipe on le retrouve évidemment lors des relais, en ski nordique aux Jeux et aux championnats du monde », précise Christian Fémy, manager des sports d’hiver à la Fédération Française Handisport. « Mais il existe, dans ces disciplines, un vrai esprit solidaire et coopératif entre les sportifs eux-mêmes et avec le staff. Ce n’est pas un collectif comme le rugby-fauteuil, c’est une forme de travail collectif très différente, mais qui fait partie intégrante de notre sport. » Sur l’aspect purement logistique, les stages d’entraînement sur neige sont limités. Tout fonctionne toujours en équipe. « On a l’habitude de vivre en collectivité. On part entre 120 et 130 jours ensemble mais on est ensemble 24 heures sur 24. »

ENTRETIEN AVEC PATRICK MIGNON
“LES SPORTS COLLECTIFS ONT UNE DIMENSION D’AVANCE EN TERMES DE DRAMATURGIE.” 

Patrick Mignon, retraité depuis peu, a travaillé pendant vingt ans au laboratoire de sociologie de l’INSEP. Il en fut aussi le responsable. Il s’est notamment penché sur les questions de spectacles sportifs et le supportérisme.

Pourquoi les sports collectifs aux Jeux Paralympiques soulèvent-ils plus facilement les foules ?
Ces sports opposent des collectifs. Cela signifie que chaque équipe représente un peu plus que deux équipes qui se rencontrent. C’est un village, une ville, un pays… De plus, cette dimension collective amène à s’interroger sur la manière dont cette équipe fonctionne. Est-elle bien organisée, les joueurs sont-ils à la bonne place, l’entraîneur fait il appel aux bons joueurs, certains ne sont-ils pas trop personnels ? Et à un certain moment, le public, les supporters sont contents parce que le collectif qui les représente a parfaitement joué. Dans certains cas, ce n’est que technicotactique ou esthétique : voir jouer l’équipe de football brésilienne, dans les années 60-70, était sidérant. Même si ce n’est pas son pays qui joue, on regarde ces matches parce que ces équipes proposent un style extraordinaire, avec des joueurs très habiles. Et il y a aussi cette notion de confrontation, où à la fin, le plus esthète ou le favori ne gagne pas toujours. 

Les sports collectifs fédèrent aussi plus naturellement… Ce n’est pas seulement un spectacle que l’on regarde. C’est un spectacle auquel on participe parce que ça nous concerne fortement et directement. Ce qui émerge de ça, c’est nous, Lorrains, Français. Les matches de sports collectifs génèrent davantage de souvenirs en général. Il y a toujours la mobilisation de quelque chose que l’on a vu, il y a quelques années, avec des joueurs et avec une équipe, qui rejaillit.

La notion de salle ou de stade dans lequel seules deux équipes s’affrontent quand en sport individuel, le spectateur peut se retrouver devant de nombreuses épreuves en athlétisme… ne favorise-t-elle pas cette ferveur ?
En athlétisme ou dans d’autres sports individuels, c’est un grand plateau avec de nombreuses épreuves… Dans les sports collectifs, vous concentrez dans une salle ou un stade le suspense, le drame. L’organisation des sports collectifs induit aussi une interdépendance entre les matches

Comment ça ?
Un groupe de supporters va suivre une rencontre même si sa nation n’est pas représentée car le résultat de ce match peut influer sur le parcours de son équipe. En athlétisme, par exemple, le jeu est absolu. C’est le chrono qui compte. En sport collectif, ce qui compte, c’est comment ça se passe. Comment chaque action en entraîne d’autres et provoque des réactions de l’adversaire. Comment des situations qui étaient acquises au départ sont renversées. C’est un aller retour. Cela ajoute à la dramaturgie des sports collectifs. On peut la retrouver dans les sports individuels, mais les sports collectifs ont une dimension d’avance en termes de dramaturgie.

Propos recueillis par Julien Soyer.